[A]u lendemain de la lecture du rapport du dialogue national inclusif, le 30 août 2024, le Comité de transition pour la restauration des institutions (CTRI) a procédé à la mise en place du Comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des conclusions du Dialogue National Inclusif (DNI), par la voie du communiqué 060. Pour autant, au nombre des 1000 mesures retenues lors de cette grande messe, après l’examen d’un peu plus de 38 000 contributions, il en est une qui fait frémir, faisant par ailleurs couler beaucoup d’encre et de salive. L’extrémisme identitaire se profile à l’horizon. Un danger aux conséquences désastreuses, selon le président du Mouvement des jeunes africains pour la promotion de l’Union africaine (MJAPUA), Joël NDIGI III, qui en appelle à la révision des conditions d’accession à des postes de responsabilité, au sein de l’administration gabonaise. Interpellant par là même le président de la Transition, Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA à ne pas tenir compte de cette recommandation.
Légion étrangère, Gabonais d’adoption ou immigrés, de quelques noms qu’on les nomme, ont par le passé constitué la “bête noire” des gabonais. À l’heure de la restauration des institutions, les gabonais exigent la restauration de leur dignité, leur honneur, la reconquête de leur magistère, par des gabonais de souche, ceux-là même, nés de père et de mère gabonais. En effet, au nom de la restitution de la dignité des gabonais, les conclusions du dialogue national rendues le 30 avril 2024, ont énuméré une liste non exhaustive des mesures qui pourraient désormais encadrer les conditions d’accès à un poste de responsabilité au Gabon. Balayant au passage les ambitions des citoyens nés d’un parent étranger, entre autres. Le dialogue national inclusif, avait-il pour but de scinder les gabonais ? Serait-ce là l’expression d’un ressentiment gardé secret trop longtemps, ou la volonté d’un protectionnisme exacerbé ? Quoiqu’il en soit ces propositions revêtent une tendance discriminatoire, alors que le Gabon, dans sa période de restructuration a besoin que tous ses fils et filles pour accompagner «l’essor vers la félicité».
Pourtant, en dehors de la fonction de président de la République, qui requiert pour les prétendants, d’être «de nationalité gabonaise de père et de mère de nationalité gabonaise; être né (e) au Gabon; avoir la nationalité gabonaise unique et exclusive;être marié (e) à un conjoint (e) né (e) de père et de mère de nationalité gabonaise; avoir un(e) conjoint(e) à la nationalité gabonaise unique et exclusive et avoir résidé 10 ans sans discontinuer sur le territoire national avant le dépôt de candidature». Tandis que pour être nommé à la tête des ministères dits de souveraineté ( Défense, Intérieur, Justice, Affaires étrangères, Budget), il faudrait «être marié (e) à un (e) Gabonais (e) d’origine», « être Gabonais de père et de mère».
À ce titre, le Président du MJUAPUA a laissé entendre sa déception non sans tirer la sonnette d’alarme sur les dangers qui guettent cette le pays. Ainsi, a-t-il lancé au micro de l’Essentiel 241, «Le Dialogue national inclusif selon l’un de ses slogans phare qui est “Le Gabon est à moi, à toi, à nous et à vous. Construisons-le. “ s’est quelque peu décontenancé. Certains leaders politiques essayent délibérément, à tort, de créer une culture du ressentiment au sein d’une partie de la population gabonaise “d’origine”. La recherche absolue de la pureté du sang nous conduira bientôt à injecter dans l’imaginaire collectif un idéal-type-gabonais. En institutionnalisant le métissage comme une tare, idéologiquement on se rapprocherait de l’Allemagne des années 30 avec à terme, comme solution finale, un Rwanda des années 90. C’est inacceptable ! Un Gabon rassemblé autour d’une logique racialiste est assurément un Gabon rabougrie. On peut passionnément aimer son pays sans toutefois flirter avec l’extrémisme».
Avant d’ajouter que «le choix d’un partenaire de vie, et non d’opportunités, transcende la nationalité à bien des égards. Une nation qui envisage la grandeur, qui se construit selon un schéma régional, continental et mondial ne peut véritablement se projeter en s’appuyant sur le repli sur soi. Encore moins en créant les conditions d’une citoyenneté de seconde classe. C’est cela qui nous conduit à penser que si l’intention, au regard de l’histoire politique et sociale de notre pays, est discutable, elle nous paraît à court et long terme mortifère. Car des suggestions comme celles-là visent à semer les gènes de la discrimination et de l’implosion future de notre société. Au moins un des deux parents gabonais d’origine avec entre autres des mesures comme la suppression de la binationalité, l’interdiction d’avoir exercé une haute fonction dans un autre pays aurait été suffisant».
Aux origines de la colère des gabonais
Pour comprendre le revirement de ce pays connu pour son hospitalité et non son «extrémisme identitaire», il faut remonter en 1936, lorsque le Gabon, alors au sein de l’Afrique économique française (AEF), a reconnu le statut de métis, attribué aux enfants nés de parents inconnus. Plus tard, sous le règne d’Omar BONGO, les premières communautés étrangères, s’enrichissaient au Gabon, au nez et à la barbe des autochtones. La piqûre historique faite par l’hebdomadaire “L’Aube” dans son numéro 416 du 06 mai 2024, rappelle que les secteurs phares de l’économie nationale étaient gérés par les expatriés dont les français, marocains, indiens, chinois. À l’instar de Samuel DOSSOU, originaire du Bénin, qui avait pignon sur le pétrole gabonais. Avant que la tendance ne soit exacerbée sous la gestion d’Ali BONGO, avec des noms à consonances étrangères, ACCROMBESSI, SOLEMAN, OCENI et cie, cités au plus haut niveau de l’administration gabonaise. Des faits graves , qui ne devraient pas toutefois justifier d’en arriver à un tel extrémisme.
D’autant que la culpabilité, ou du moins la responsabilité des gabonais dits de souche, n’est pas moindre dans la survenue l’élévation des sujets étrangers dans notre pays. En effet, en quête d’opportunités, ses hommes et femmes venus d’ailleurs, se sont vus attribuer la nationalité gabonaise, par des agents cupides, bien souvent au mépris des textes qui régissent le droit à la nationalité. Quelques billets de banque suffisants à faire oublier ce nationalisme occasionnel.
A cet effet, la Coalition pour la nouvelle république (CNR) soutient que «être gabonais de souche n’est pas une garantie ». En effet ,«si sans fonction officielle sylvia BONGO a pu mettre au garde à vous et à genoux toutes les autorités politiques , administratives et militaires gabonaises, ce n’est pas parce qu’elle était étrangère mais bien parce qu’elle a rencontré des gabonais cupides et peu courageux». Rappelant au passage qu’une “premiere dame gabonaise” de père et de mère «a mis toute une banque en faillite, laissant de nombreuses familles dans la désolation». Une position, que Terence GNEMBOU MOUTSONA, Président du parti Réveil citoyen ou encore Étienne MASSARD KABINDA, ancien ministre de la Défense d’Ali BONGO a soutenu, relevant à son tour l’hypocrisie sur le débat de la nationalité, qui aurait atteint son paroxysme. Un avis contredit par le journaliste Brice NDONG qui a opposé une réponse à ce dernier. «Il faut dire aux gens que le Gabon a changé et que tout le monde ne peut pas être Président de la République. C’est une fonction sacrée qui doit être réservée aux seuls Gabonais de souche pure».
L’hypocrisie comme arme pour défendre la pureté du sang
Parti du morcellement du continent en 1885 avec pour conséquence la création des frontières artificielles, l’on serait devenu une machine à stigmatiser l’autre, poursuivant ainsi l’œuvre de division de l’ancien colonisateur ? Alors que bantu, tous issus d’immigration, nous sommes nous-mêmes étrangers en terre baka. Désormais sur la toile, dans les bas quartiers ainsi que dans les salons feutrés, il ne se passe pas un semestre sans que verbalement les origines d’un individu ne soient remises en cause. En dernière date l’on remettait en cause la “gabonité” des haoussa, pourtant installés au Gabon depuis plusieurs décennies. Alors que chaque jour, nombreux se servent désormais des origines des uns et des autres, en guise d’injures.
Cette recommandation est un dérapage, sans doute loin d’être le seul de ce dialogue, qui traduit par ailleurs l’hypocrisie de ses pourvoyeurs, que les seuls domaines politique et sportif trahissent. D’Omar BONGO ONDIMBA en passant par son fils jusqu’à Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA, binationaux, métis et mulâtres qu’ils s’agissent de l’homme politique Marcel Éloi CHAMBRIER, l’ex-président par intérim Rose Francine ROGOMBE, l’ex président de l’Union africaine Jean PING, le ministre actuel des affaires étrangères, Régis ONANGA NDIAYE, d’origine sénégalaise ou encore son collègue de l’industrie, François MBONGO RAFEMO BOURDETTE, le Secrétaire général de la présidence de la République,Guy ROSSATANGA-RIGNAULT, ou encore le ministre de la Réforme des Institutions, Murielle MINKOUE ép. MINTSA, qui ont servi et servent le Gabon sans se préoccuper des origines de leurs ascendants. Leur dévouement devrait-il être remis en cause, du seul fait de leurs origines ou de celles de leurs ascendants ?
Dans les domaines de la culture, du sport, les athlètes binationaux répondent avec fierté à l’appel du maillot des panthères du Gabon, en lieu et place de leur seconde nation. Si le métissage de l’équipe nationale avait suscité, depuis 2014, des polémiques, les gabonais ne se reconnaissent pas moins en Denis BOUANGA, franco- gabonais, ou le franco-gabono-espagnol, Pierre Emerick AUBAMEYANG lorsqu’ils excellent en sélection nationale, qu’en Aaron BOUPENDZA. S’il est question pour les gabonais de père et de mère de se réapproprier leur souveraineté, il ne saurait en être autrement dans l’équipe nationale, où il faudra s’assurer d’un nettoyage de fond, tant elle est truffée de métisses et binationaux. Par ailleurs, dans un pays où le culte de la peau claire transcende les générations, il sera difficile d’arracher aux hommes, pour ne parler que d’eux, leur admiration et préférence pour les femmes métisses.
Dérives et risques d’implosion de la société
Faut-il rappeler qu’au Gabon, le fléau du tribalisme est déjà bien ancré au milieu de la société, et cette résolution, liée à la nationalité, rajouterait de l’huile sur le feu. Il n’est pas nécessaire d’en arriver là. Mieux, il faut éviter une situation similaire à celle vécue en Afrique du sud. Où, les métis, se disent être les éternels laissés-pour-compte de la nation arc-en-ciel, pourtant, voulue par Nelson MANDELA. Ou pire encore, éviter de répéter le drame des Tutsis, lapidés à travers le Rwanda, lors du génocide dit “des Tutsi” de 1994. Lequel a endeuillé le pays de plus de 800 000 morts. Une histoire encore fraîche dans les mémoires que l’on ne souhaite pas vivre un jour au Gabon. En chine, se sont les Ouïghours, peuple minoritaires, qui sont persécutés par le pouvoir en place, et contraints de mettre dans l’oubli leurs culture et langue.
Par ailleurs, ayant ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en 1981, le Gabon, violerait les textes de ladite déclaration qui confère en son article 2, tous droits et libertés sans distinction de races, à chacun. Au regard du contexte de la mondialisation qui contraint les états à interagir, le Gabon échange avec de nombreux autres, aux niveaux régional, continental et mondial. Bien que les échanges en Afrique centrale ne représentent qu’un peu plus de 3,5%, le Gabon amplifie au cours des exercices commerciaux avec les partenaires internationaux. Et il ne s’agit pas là uniquement que de la chine qui s’est offert 49% des exportations du Gabon. En effet, L’Australie, Singapour, l’Inde, le Vietnam, la Corée du Sud, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas, et historiquement, les Etats-Unis, sont également friands des ressources gabonaises, rapporte le site www.zonebourse.com.
A l’origine de ces échanges, les représentants du Gabon sont appelés à interagir, nouer des relations et pour ceux qui n’ont d’autres choix que de s’établir dans d’autres pays pour le compte de la nation, d’y fonder une famille et s’intégrer. Il est donc difficile de comprendre la position affichée par cette suggestion. Alors qu’en 2009, lorsque Barack OBAMA a été élu président des États-Unis d’Amérique, sa victoire avait été massivement saluée. Un noir, de père étranger arrivé au sommet de la gestion de la première puissance mondiale. En 2007, fils d’immigré hongrois, Nicolas Sarkozy avait arraché la victoire à l’élection présidentielle française, et sa victoire n’avait pas entaché les relations avec le Gabon, pour autant. Il apparaît peu compréhensible, la position d’une frange de gabonais aujourd’hui.
Il faut être prudent et limiter les dégâts d’une telle position, qui pourrait ouvrir la porte à la marginalisation des gabonais par les autres sociétés. Celles-là même dont sont issus, les mulâtres, métis et binationaux qui composent notre population, qui verraient leur descendance condamnée à une certaine évolution dans le pays dont ils ont pourtant la nationalité. Alors qu’en France, la gabonaise Danielle OBONE exerce depuis 2017 a une fonction élective. Partout dans le monde, l’on compte des gabonais, près de 12000 en France, 6000 au Sénégal et 2000 aux Etats Unis, pour ne citer que ceux-là. L’exigence de la pureté du sang tue l’idée du mariage, qui transcende la nationalité. Le lien sacré du mariage est souvent comparé à l’union entre Christ et l’Église – une relation fondée sur l’amour inconditionnel, la fidélité et le dévouement éternels. Une définition qui cadre parfaitement avec les croyances gabonaises qui ont adopté un métissage de foi, qui épousent parfaitement les rites culturels et la religion.